Situations d’apprentissage collectives instrumentées : étude de pratiques dans l’enseignement supérieur
Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, Lausanne 2007
1
Situations d’apprentissage collectives
instrumentées : étude de pratiques dans
l’enseignement supérieur
Michel Christine, Garrot Elise, George Sébastien
Laboratoire LIESP, INSA-Lyon
21, avenue Jean Capelle
F-69621 Villeurbanne Cedex, France
Christine.Michel@insa-lyon.fr, Elise.Garrot@insa-lyon.fr,
Sebastien.George@insa-lyon.fr
RÉSUMÉ. Actuellement, les activités collectives sont de plus en plus souvent supportées par
des plates-formes éducatives qui proposent de nombreux outils de communication, de
production, de partage et de management du travail collectif. Mais il n’est pas garanti que la
mise à disposition des ces outils aux acteurs (concepteurs, tuteurs et apprenants) implique
leur réelle utilisation. Notre travail, par une étude de terrain, dresse un bilan des
caractéristiques des situations d’apprentissage collectives instrumentées (SACI) dans
l’enseignement supérieur. Notre propos est de déterminer : si les SACI existent ; quelle forme
elles prennent (en termes de scénario, d’outils, de type d’activité…) ; si les recommandations
issues de travaux de recherche sont mises en pratique par les concepteurs pédagogiques et si
les activités prescrites par ces concepteurs se déroulent comme prévu avec les apprenants et
les tuteurs ? Pour répondre à ces questions, nous nous basons plus particulièrement sur des
enquêtes d’usage auprès des acteurs de SACI.
MOTS-CLÉS : Analyse et évaluation des usages, Évaluation des EIAH, Apprentissage collectif,
Outil de travail collaboratif/coopératif.
2 Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, Lausanne 2007
1. Introduction
Les travaux de recherche présentés dans cet article s’inscrivent dans le projet
ACTEURS TICE1 (Activités Collectives et Tutorat dans l’Enseignement
Universitaire : Réalités, Scénarios et usages des TICE). Dans le cadre de ce projet
nous nous intéressons plus spécifiquement à l’étude des Situations d’Apprentissage
Collectives Instrumentées (SACI) dans l’enseignement supérieur [BOURRIQUEN
et al. 06]. En effet, l’apprentissage collectif est utilisé pour favoriser l’apprentissage
individuel à partir d’interactions entre apprenants [DILLENBOURG 99] [DOISE et
MUGNY 84]. Dans ce contexte, des activités variées sont mises en place, telles que
l’apprentissage par projet, les études de cas ou les jeux d’entreprise. Elles sont de
plus en plus souvent réalisées sous une forme instrumentée pour pouvoir être
utilisées de manière plus flexible (en particulier à distance). Parallèlement, des
pressions extérieures (académique, économique, sociale) encouragent l’utilisation
des Technologies de l’Information et de
l’importance actuelle des TIC en éducation et leur usage dans les activités
collectives, nous avons décidé d’observer ce que nous nommons les SACI dans le
contexte de l’enseignement supérieur. Nous tenons néanmoins à préciser que la
finalité de cette recherche n’est pas de comprendre les mécanismes collectifs pour
améliorer la conception de système d’apprentissage comme c’est le cas dans le
champs des CSCL (Computer Support for Collaborative Learning) [BANNON 89]
[ISLS 06] [JERMANN 01]. Notre propos est de montrer, dans une démarche
globale et interdisciplinaire, (1) les formes que peuvent prendre les SACI et leur
intégration dans les programmes de formation (2) le rôle et ressenti des acteurs des
SACI et (3) l’intentionnalité exprimée a priori par les concepteurs sous la forme de
scénarios. Cette étude est réalisée par une observation et caractérisation des
situations effectives sur le terrain. Après avoir défini plus précisément le terme
SACI et la méthodologie d’observation, nous présentons les résultats obtenus.
2. Problématique
Une SACI est définie comme une situation pédagogique avec un objectif
d’apprentissage (de connaissances et/ou de compétences), des acteurs identifiés, une
durée et un mode d’évaluation des apprenants [BOURRIQUEN et al. 06]. Elle
prend la forme d’une unité d’apprentissage scénarisée dans laquelle la production
individuelle et/ou collective attendue est liée à une activité collective instrumentée
par des artefacts informatiques. Dans cette définition, le terme « collectif » est
1 Les auteurs tiennent à remercier les membres du groupe ACTEUR TICE ayant
participé à cette observation ainsi que le Ministère Français de l’Education
Nationale et de
« Champs, technologie et théorie » (2005-2007).
SACI : étude de pratiques 3
employé pour désigner à la fois les concepts « collaboratif » et « coopératif »
[GEORGE 01], les sous-buts étant identiques dans une activité collaborative alors
qu’il y a un partage de tâches entre acteurs dans une activité coopérative. Le terme
« production » désigne tout résultat tangible, matérialisé et observable a posteriori
d’une activité. Par exemple la production peut-être une synthèse individuelle ou
collective, des discussions provenant d’outils de communication ou de diffusion
(forums, mails, blogs, chats), des traces de connexion, etc. Il est à noter qu’une
SACI peut avoir différents niveaux de granularité – elle peut ainsi être une séance,
une séquence ou une unité d’enseignement – dès lors qu’elle est délimitée par les
caractéristiques énoncées dans sa définition (sa durée, son objectif
d’apprentissage…).
Les plates-formes éducatives proposent de nombreux outils : outils de
communication (chat, mail, forum, vidéoconférence, audioconférence), outils de
production et de partage (partage d’applications, tableau blanc, éditeur de texte
partagé, wiki, blog, portfolio) et outils de management du travail collaboratif
(gestion de document, outil de planification). Mais la mise à disposition de ces
outils aux acteurs (tuteurs et apprenants) implique-t-elle leur utilisation ? Et leur
utilisation implique-t-elle forcément une réelle activité collective entre apprenants ?
Dans cette étude, nous cherchons à voir s’il y a une différence entre ce qui est
prescrit par un concepteur pédagogique de SACI et le déroulement effectif de cette
même SACI. Pour identifier cette différence nous observons les intentions des
concepteurs (présence d’un scénario, désignation d’outils) et les pratiques des
tuteurs et apprenants. Les résultats attendus de nos travaux sont : (a) observer dans
quelle proportion les SACI, telles que nous les définissons, existent réellement ; (b)
observer dans les SACI identifiées la réalité des pratiques des acteurs afin d’évaluer
les éventuels écarts entre les recommandations proposés par le monde de la
recherche et les réalisations effectives ; (c) observer dans les SACI identifiées les
écarts existant entre les activités prescrites par les concepteurs pédagogiques et le
déroulement effectifs de celles-ci ; (d) apporter des hypothèses pour expliquer les
différences observées au niveau des deux points précédents ; (e) ouvrir des pistes de
réflexion et des ébauches de réponses pour rendre la réalisation d’activités
collectives effective.
Cette étude s’inscrit autour de l’usage des outils TIC. Nous observons par
exemple si les concepteurs prévoient dans la conception d’activités collectives
l’usage d’outils particuliers pour effectivement favoriser la collaboration entre
apprenants, si les tuteurs et apprenants les utilisent ou en utilisent d’autres de leur
propre initiative ou bien encore en détournent l’usage [RABARDEL 95].
3. Démarche et méthodologie
L’observation a été réalisée à partir d’un guide d’entretien, d’un questionnaire
préalable et d’un questionnaire final. Le questionnaire préalable et l’entretien semidirectif
ont été réalisés avec un concepteur du campus numérique FORSE
4 Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, Lausanne 2007
(http://www.sciencedu.org/) et deux tuteurs du campus Spiral (http://spiral.univlyon1.
fr). Les résultats ont permis d’affiner la définition d’une SACI en précisant
ses caractéristiques spécifiques comme le niveau de granularité (séance, séquence,
unité d’enseignement, etc.). Ils ont également servi à définir plus finement le
questionnaire final de caractérisation des SACI et à localiser, parmi les 13 terrains
d’observation du groupe ACTEUR TICE ceux intégrant des SACI dans leur
dispositif de formation. Cette enquête préalable a permis de montrer que les SACI
n’étaient pas aussi développées dans le milieu de l’enseignement supérieur que nous
l’avions pensé, seules 12 SACI (alors que nous en espérions entre 30 et 40) ont été
en effet identifiées. Le questionnaire final a été utilisé pour réaliser 18 entretiens
auprès des acteurs des 12 SACI retenus. Nous nous sommes attachés à questionner
ces acteurs sur le contexte global dans lequel s’inscrit
diplôme, discipline, genèse de
d’instrumentation et les modalités d’interactions collectives mis en oeuvre dans la
SACI. Plus précisément, nous les avons interrogé sur les outils informatiques de
communication, de production/diffusion/partage d’information ou de ressources et
de gestion du travail collectif proposés et utilisés.
4. Résultats
Les premiers résultats sur le profil global des SACI observées montrent qu’elles
s’inscrivent toutes (100%) dans des formations diplômantes, dans des disciplines
variées (anglais, informatique-infographie, ingénierie de la formation à distance,
marketing, comptabilité, gestion d’entreprise). Les motivations qui ont poussé à la
création de ces SACI sont d’agir sur une formation existante en présence (resp. à
distance) en la complétant (35% resp. 23%) ou en la remplaçant/améliorant (47%
resp. 11,8%), de créer une nouvelle formation (41,2%) ou de chercher de nouveaux
public (35,3%). Les expériences sont assez jeunes puisque 40% d’entre elles en sont
à leur 1ere session et que 70% ont été réalisées sur moins de 4 sessions. La
granularité est très variable ; on observe en effet des SACI ponctuelles (de 2h, de 2
jours) ou des SACI sur de plus longues périodes (1 semestre à 1 an). La part
d’enseignement en présence est faible (inférieure à 10% du temps d’apprentissage
dans environ 60% des cas). Les objectifs sont assez variés, allant de réalisation de
tâches simples (apprendre du vocabulaire, apprendre la manipulation d’un logiciel
de conception graphique), à des tâches plus évoluées d’analyse globale et de gestion
(de ressources, de projet, d’hommes). Il n’y a pas de type d’activité privilégié
puisque nous relevons approximativement autant de situations d’apprentissage
concernant de la recherche d’informations, du débat, de l’écriture collaborative, du
projet, de l’étude de cas et de la résolution de problèmes. Les activités sont même
souvent combinées : écriture collaborative dans un projet, recherche d’information
et résolution de problème, débat et écriture collaborative par exemple. Le travail est
prévu par le concepteur pour être collectif dans 64,38% des cas, ce qui est
généralement suivi dans la pratique (60,71%). Le travail est plutôt de nature
coopérative que collaborative (60% en effectif) mais ce chiffre est à prendre avec
précaution. Il semblerait que les acteurs aient eu du mal à distinguer la collaboration
SACI : étude de pratiques 5
de la coopération, même si une définition était donnée. En effet, nous avons observé
par exemple des réponses contradictoires pour une même SACI comme : le
concepteur indique une proportion d’activités collaboratives de 100% et le tuteur de
0%. Au niveau de la temporalité, les activités synchrones sont très souvent
prescrites par le concepteur (87,5% pour les apprenants et 100% pour les tuteurs). Si
les activités asynchrones sont un peu moins prescrites (avec 68,75% et 64,29% pour
les mêmes populations) elles sont bien suivies (62,50% des SACI les voient utilisées
« souvent » contre 6,25% « pas souvent ») alors que cette tendance est un peu moins
forte pour les activités synchrones (56% des SACI les voient utilisées « souvent »
contre 31,25% « pas souvent »).
L’étude spécifique de l’utilisation des outils d’interactions collaboratives,
détaillée dans [MICHEL et al. 07], montre que les outils de communication les plus
fournis sur les plates-formes sont le mail (68,75% pour les apprenants et 76,47%
pour les tuteurs), le forum (68,75% pour les apprenants et 64,7% pour les tuteurs) et
le chat (56,25% pour les apprenants et 58,82% pour les tuteurs). Ils sont
généralement bien utilisés. Peu de plates-formes fournissent des outils de visio ou
audio conférence et quand c’est le cas ils sont peu utilisés. Les apprenants utilisent
plus les forums que le mail alors que les tuteurs préfèrent le mail. Le téléphone est
rarement proposé aux apprenants et un peu aux tuteurs qui l’utilisent entre eux. Les
chats sont assez peu utilisés mais paradoxalement, dans certaines SACI et pour les
étudiants, ils le sont alors qu’ils ne sont pas proposés. Cela montre que ces acteurs
ont tendance à utiliser d’autres outils de communication rapide que ceux proposés,
pour des raisons de confidentialité ou d’utilisabilité (des chats externes au dispositif
par exemple). La plupart du temps, les SACI observées ne proposent pas d’outils de
partage et de production de ressources. Le wiki et le blog ne sont jamais utilisés. Le
blog est certes rarement proposé (6,25% pour les apprenants et les tuteurs), mais le
wiki l’est (50% pour les tuteurs). Ce résultat est surprenant car ces outils sont sensés
être d’usage familier ; les tuteurs n’éprouvent peut-être pas le besoin de formaliser
sous cette forme leur expérience. L’éditeur de texte partagé et le tableau blanc sont
plutôt souvent proposés et bien utilisés alors que le partage d’application non. Cette
observation nous laisse à penser que le « bon » usage ou l’usage effectif des outils
de partage tient au fait qu’ils sont intimement liés à la réalisation d’une activité
spécifique dans
peu proposés. Quant ils le sont c’est sous la forme d’outils de gestion de document,
d’outils spécifiques et d’outils de planning et dans une faible mesure d’outils
d’awareness. Les apprenants utilisent souvent les outils de planning, les tuteurs
utilisent assez bien tous les outils et même certains qui ne sont pas a priori prescrits,
comme les outils d’awareness et les outils spécifiques. Nous pouvons supposer que
les tuteurs détournent l’usage initial de ces outils pour satisfaire des besoins non pris
en compte par le concepteur (comme l’évaluation du travail d’un élève et de son
degré d’investissement grâce aux outils d’awareness, la composition d’un groupe et
la collaboration au sein et entre les groupes grâce aux outils spécifiques
d’organisation).
6 Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, Lausanne 2007
5. Conclusion
En terme de volume, les SACI ne sont pas particulièrement développées dans
l’enseignement supérieur. La motivation poussant à la création de SACI est
généralement de remplacer/améliorer une formation déjà existante en présence par
une formation à distance. Les expériences observées sont donc assez jeunes, n’ont
pas de traits caractéristiques forts en termes de champs disciplinaire, objectif
d’apprentissage, granularité ou type d’activité. Parmi l’éventail des possibilités
(activités ou outils) collectives et instrumentées disponibles, très peu semblent
actuellement mises en pratique de manière aboutie. Nous observons que les
concepteurs qui mettent en place des situations d’apprentissage collectives ont
souvent une démarche « artisanale », bien loin des recherches actuelles sur les
scénarios pédagogiques et de leur standardisation. Nous ne pouvons pas déterminer
si cette constatation est due à une réaction pragmatique liée au manque de moyen
matériels, d’outils ou de dispositifs ; à une difficulté à mettre en application des
recommandations de la recherche ou bien à une mauvaise compréhension, par le
tuteur, des objectifs du concepteur ? Nos futures recherches tenteront de répondre à
ces questions.
Bibliographie
[BANNON 89] Bannon, L.J., “Issues in Computer-Supported Collaborative Learning”, C. O'Malley,
(Ed.), Actes de NATO Advanced Workshop on Computer-Supported Collaborative Learning,
Maratea, Italy, septembre 1989.
[BOURRIQUEN et al. 06] Bourriquen, B., David, J-P., Garrot, E., George, S., Godinet, H., Medélez, E.,
et Metz, S., « Caractérisation des Situations d'Apprentissage Collectives et Instrumentées dans le
supérieur », 8ème Biennale de l'éducation et de la formation, Lyon, France, 11-14 avril 2006.
[DILLENBOURG 99] Dillenbourg, P., “What do you mean by 'collaborative learning'?”, Dillenbourg P.
(Ed.), Collaborative-learning: Cognitive and Computational Approaches, Oxford, Elsevier, 1999,
p. 1-19.
[DOISE & MUGNY 84] Doise, W., Mugny, G., The Social Development of the Intellect, New York,
Pergamon Press, 1984.
[GEORGE 01] George, S., Apprentissage collectif à distance - SPLACH : un environnement informatique
support d'une pédagogie de projet, Thèse de Doctorat en informatique, Université du Maine, 2001,
354 p.
[JERMANN et al. 01] Jermann, P., Soller, A., Muehlenbrock, M., “From mirroring to guiding: A review
of state of the art technology for supporting collaborative learning”, European Conference on
Computer-Supported Collaborative Learning (Euro-CSCL 2001), Maastricht, Netherlands, 22-24
mars 2001, p. 324-331.
[MICHEL et al. 07] Michel, C., Garrot, E., George, S., “Instrumented Collective Learning Situations
(ICLS) : the gap between theoretical research and observed practices”, Actes de la 18ème conference
internationale sur "Society for Information Technology and Teacher Education" (SITE 2007), San
Antonio, Texas, EU, 26-30 mars 2007, à paraître.
[RABARDEL 95] Rabardel, P., Les Hommes et les technologies. Approche cognitive des instruments
contemporains, Armand Colin, 1995.
[ISLS 06] ISLS (2006), International Society of the Learning Sciences, CSCL 2007 conference
homepage, http://www.isls.org/cscl2007/index.html
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 33 autres membres