gardez le sourire

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LES MEILLEURS CONTES POUR ENFANTS

 

 

 

n Homme n'ayant plus ni crédit ni ressource,
Et logeant le diable en sa bourse,
C'est-à-dire n'y logeant rien,
S'imagina qu'il feroit bien
De se pendre, et finir lui-même sa misère,
Puisque aussi bien sans lui la faim le viendroit faire :
Genre de mort qui ne duit pas
A gens peu curieux de goûter le trépas.
Dans cette intention, une vieille masure
Fut la scène où devoit se passer l'aventure.
Il y porte une corde, et veut avec un clou
Au haut d'un certain mur attacher le licou.
La muraille, vieille et peu forte,
S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor.
Notre désespéré le ramasse, et l'emporte.
Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or,
Sans compter : ronde ou non, la somme plut au sire.
Tandis que le galant à grands pas se retire,
L'Homme au trésor arrive, et trouve son argent
Absent.

« uoi, dit-il, sans mourir je perdrai cette somme ?
Je ne me pendrai pas! Et vraiment si ferai,
Ou de corde je manquerai. »
Le lacs étoit tout prêt ; il n'y manquoit qu'un homme
Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau.
Ce qui le consola peut-être
Fut qu'un autre eût, pour lui, fait les frais du cordeau.
Aussi bien que l'argent le licou trouva maître.
L'avare rarement finit ses jours sans pleurs;
Il a le moins de part au trésor qu'il enserre,
Thésaurisant pour les voleurs,
Pour ses parents ou pour la terre.
Mais que dire du troc que la Fortune fit,
Ce sont là de ses traits; elle s'en divertit :
Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente.
Cette déesse inconstante
Se mit alors en l'esprit
De voir un homme se pendre;
Et celui qui se pendit
S'y devoit le moins attendre.

 

 

 

 

 

. Seguin n'avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres. Il les perdait toutes de la même façon : un beau matin, elles cassaient leur corde, s'en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C'était, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté. Le brave M. Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné.

Il disait : « C'est fini ; les chèvres s'ennuient chez moi, je n'en garderai pas une. »
Cependant, il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième ; seulement cette fois il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu'elle s'habitue mieux à demeurer chez lui.

Ah ! qu'elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin. Qu'elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et Iuisants, ses cornes zébrées et-ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande ! et puis docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l'écuelle ; un amour de petite chèvre.... M. Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d'aubépines. C'est-là qu'il mit sa nouvelle pensionnaire.

Il l'attacha à un pieu au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps il venait voir si elle était bien. La chèvre se trouvait très heureuse et broutait l'herbe de si bon coeur que M. Seguin était ravi.
« Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s'ennuiera pas chez moi ! »
M. Seguin se trompait, sa chèvre s'ennuya. Un jour, elle se dit en regardant la montagne :
« Comme on doit être bien là-haut ! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette maudite longe qui vous écorche le cou.... C'est bon pour l'âne ou pour le boeuf de brouter dans un clos !... Les chèvres, il leur faut du large. »
A partir de ce moment, l'herbe du clos lui parut fade. L'ennui lui vint. Elle maigrit ; son lait se fit rare. C'était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte et faisant : Mê !... tristement. M. Seguin s'apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c'était....

Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois :
« Ecoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous. Laissez-moi aller dans la montagne. - Ah ! mon Dieu !... Elle aussi ! » cria M., Seguin stupéfait.

t du coup, il laissa tomber son écuelle.... Puis, s'asseyant dans l'herbe à côté de sa chèvre :
« Comment, Blanquette, tu veux me quitter ? »
Blanquette répondit :
« Oui, monsieur Seguin.
- Est-ce que l'herbe te manque ici ?
- Oh non ! monsieur Seguin.
- Tu es peut-être attachée de trop court ; veux-tu que j'allonge la corde ?
- Ce n'est pas la peine, monsieur Seguin.
- Alors, qu'est-ce qu'il te faut ? Qu'est-ce que tu veux ?
- Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.
- Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne.... Que feras-tu quand il viendra ?....
- Je lui donnerai des coups de corne, monsieur Seguin.
- Le loup se moque bien de tes cornes. Il m'a mangé des biques autrement encornées que toi.... Tu sais bien la vieille Renaude qui était ici l'an dernier ? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s'est battue avec le loup toute la nuit... puis le matin le loup l'a mangée.
- Pécaïre ! pauvre Renaude !... Ça ne fait rien, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne.
- Bonté divine ! dit M. Seguin.... mais qu'est-ce qu'on leur a donc fait à mes chèvres ? Encore une que le loup va me manger.... Eh bien, non... je te sauverai malgré toi, coquine, et, de peur que tu ne rompes ta corde, je vais L'enfermer dans l'étable, et tu y resteras toujours. »

Là-dessus, M. Seguin emporta la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné que la petite s'en alla...

Quand elle arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n'avaient rien vu d'aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu'à terre pour la caresser du bout de leurs branches. Les genêts d'or s'ouvraient sur son passage, et sentaient bon tant qu'ils pouvaient. Toute la montagne lui fit fête.

Plus de corde. Plus de pieu... rien qui l'empêchât de gambader, de brouter à sa guise.... C'est là qu'il y en avait de l'herbe ! jusque par-dessus les cornes.... Et quelle herbe ! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes.... C'était bien autre chose que le gazon du clos. Et les fleurs donc !.... De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux ! La chèvre blanche, à moitié ivre, se vautrait là-dedans les jambes en l'air et roulait le long des talus, pêle-mêle avec les feuilles tombées et les châtaignes....

Puis, tout à coup, elle se redressait d'un bond sur ses pattes. Hop ! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt sur un pie, tantôt au fond d'un ravin, là-haut, en bas, partout.... On aurait dit qu'il y avait dix chèvres de M. Seguin dans la montagne. C'est qu'elle n'avait peur de rien la Blanquette !

lle franchissait d'un saut de grands torrents qui l'éclaboussaient, au passage, de poussière humide et d'écume. Alors, toute ruisselante, elle allait s'étendre sur quelque rocheplate et se faisait sécher par le soleil.... Une fois, s'avancent au bord d'un plateau, une feuille de cytise aux dents, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Seguin avec le clos derrière.

Cela la fit rire aux larmes.
« Que c'est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là-dedans ? »
Pauvrette ! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que je monde.... En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de M. Seguin ! Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans une troupe de chamois en train de croquer une lambrusque à belles dents. Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. On lui donna la meilleure place à la lambrusque.

Tout à coup, le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c'était le soir....
« Déjà ! » dit la petite chèvre ; et elle s'arrêta fort étonnée. En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée ; elle écouta les clochettes d'un troupeau qu'on ramenait, et se sentit l'âme toute triste.... Un gerfaut qui rentrait la frôla de ses ailes en passant.

Elle tressaillit.... Puis ce fut un long hurlement dans la montagne : « Hou ! hou ! » Elle pensa au loup ; de tout le jour la folle n'y avait pas pensé.... Au même moment, une trompe sonna bien loin dans la vallée. C'était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort. « Hou ! hou... », faisait le loup.

« Reviens ! reviens !.... » criait la trompe. Blanquette eut envie de rentrer ; mais, se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pourrait plus se faire à cette vie, et qu'il valait mieux rester....

La trompe ne sonnait plus.... La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles. Elle se retourna et vit dans l'ombre deux oreilles courtes toutes droites, avec des yeux qui reluisaient.... C'était le loup. Enorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là, regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu'il la mangerait, le loup ne se pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment :
« Ha ! ha ! petite chèvre de M. Seguin ! » et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d'amadou. Blanquette se sentit perdue.... Un moment, en se rappelant l'histoire de la vieille Renaude, qui s'était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu'il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; puis, s'étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et la corne en avant, comme une brave chèvre de M. Seguin qu'elle était... non pas qu'elle eût l'espoir de tuer le loup - les chèvres ne tuent pas le loup -, mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude....

lors le monstre s'avanca, et les petites cornes entrèrent en danse. Ah ! la brave chevrette ! Comme elle y allait de bon coeur ! Plus de dix fois, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine.
Pendant ces trêves d'une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe, puis elle retournait au combat la bouche pleine.... Cela dura toute la nuit.

De temps en temps, la chèvre de M. Seguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair, et elle se disait :
« Oh ! pourvu que je tienne jusqu'à l'aube !... » L'une après l'autre, les étoiles s'éteignirent. Blanquette redoubla de coups de cornes, le loup de coups de dents.... Une lueur pâle parut dans l'horizon.... Le chant d'un coq enroué monta d'une métairie.
« Enfin ! » dit la pauvre bête, qui n'attendait plus que le jour pour mourir ; et elle s'allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang.... Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea

.

 

 

 

 

 

 

l était une fois un roi et une reine qui avaient deux beaux garçons : ils croissaient comme le jour, tant ils se faisaient bien nourrir. La reine n'avait jamais d'enfant qu'elle n'envoyât convier les fées à leur naissance ; elle les priait toujours de lui dire ce qui leur devait arriver.

Elle donna naissance à une belle petite fille, qui était si jolie, qu'on ne la pouvait voir sans l'aimer. La reine ayant bien régalé toutes les fées qui étaient venues la voir, quand elles furent prêtes à s'en aller, elle leur dit

« N'oubliez pas votre bonne coutume et dites-moi ce qui arrivera à Rosette. » (C'est ainsi que l'on appelait la petite princesse.)

Les fées lui dirent qu'elles avaient oublié leur grimoire à la maison, qu'elles reviendraient une autre fois la voir.

« Ah ! dit la reine, cela ne m'annonce rien de bon ; vous ne voulez pas m’affliger par une mauvaise prédiction. Mais, je vous en prie, que je sache tout ; ne me cachez rien. »

Elles s'en excusaient bien fort, et la reine avait encore bien plus envie de savoir ce que c'était. Enfin, la plus jeune des fées lui dit :

« Nous craignons, madame, que Rosette ne cause un grand malheur à ses frères ; quels ne meurent dans quelque affaire pour elle. Voilà tout ce que nous pouvons deviner sur cette belle petite fille : nous sommes bien fâchées de n'avoir pas de meilleures nouvelles à vous apprendre. »

Elles s'en allèrent, et la reine resta si triste, si triste, que le roi s'en aperçut à sa mine. Il lui demanda ce qu'elle avait : elle répondit qu'elle s'était approchée trop près du feu, et qu'elle avait brûlé tout le lin qui était sur sa quenouille.

«N'est-ce que cela ?» dit le roi.

l monta dans son grenier et lui apporta plus de lin qu'elle n'en pouvait filer en cent ans.

La reine continua d'être triste : il lu' demanda ce qu'elle avait. Elle lui dit qu'étant au bord de la rivière, elle avait laissé tomber sa pantoufle de satin vert dans le cours d'eau.

« N'est-ce que cela ? » dit le roi.

Il envoya quérir tous les cordonniers de son royaume, et apporta dix mille pantoufles de satin vert à la reine.

Celle-ci continua d'être triste : il lui demanda ce qu'elle avait. Elle lui dit qu'en mangeant de trop bon appétit, elle avait avalé sa bague de noce, qui était à son doigt. Le roi découvrit qu'elle mentait car il avait caché cette bague, et lui dit :

« Ma chère femme, vous mentez ! voilà votre bague que j'ai cachée dans ma bourse. »

Dame ! elle fut bien attrapée d'être prise à mentir (car c'est la chose la plus laide du monde), et elle vit que le roi boudait. C'est pourquoi elle lui dit ce que les fées avaient prédit de la petite Rosette, et que s'il savait quelque bon remède, il le dît.

Le roi s'attrista beaucoup. Il avoua enfin à la reine :

« Je ne sais point d'autre moyen de sauver nos deux fils, qu'en faisant mourir Rosette. »

Mais la reine s'écria qu'elle n'y survivrait pas.

On apprit cependant à la reine qu'il y avait dans un grand bois un vieil ermite, qui couchait dans le tronc d'un arbre, que l'on allait consulter de partout. « Il faut que J'y aille aussi, dit la reine, les fées m'ont annoncé le mal, mais elles ont oublié le remède. »

Elle monta de bon matin sur une belle petite mule blanche, toute ferrée d'or, avec deux de ses demoiselles, qui avaient chacune un joli cheval. Quand elles furent auprès du bois, la reine et ses demoiselles descendirent de cheval et se rendirent à l'arbre où l'ermite demeurait. Il n'aimait guère voir des femmes ; mais quand il reconnut la reine il lui dit :

«Soyez la bienvenue ! Que me voulez-vous ? »

lle lui conta ce que les fées avaient dit de Rosette, et lui demanda conseil. Il lui répondit qu'il fallait cacher la princesse dans une tour, sans qu'elle en sortît jamais. La reine le remercia, lui fit une bonne aumône, et revint tout raconter au roi.

Quand le roi sut ces nouvelles, il fit rapidement bâtir une grosse tour. Il y mit sa fille et, pour qu'elle ne s'ennuyât point, le roi, la reine et les deux frères allaient la voir tous les jours.

L'aîné s'appelait le grand prince, et le cadet, le petit prince. Ils aimaient leur soeur passionnément car elle était la plus belle et la plus gracieuse que l'on eût jamais vue, et le moindre de ses regards valait mieux que cent pistoles.

Quand elle eut quinze ans, le grand prince dit au roi : «Ma soeur est assez grande pour être mariée : n'irons-nous pas bientôt à la noce ? »

Le petit prince en dit autant à la reine, mais Leurs Majestés leur firent des réponses évasives.

Mais le roi et la reine tombèrent malades. Ils moururent tous deux le même jour.

La cour s'habilla de noir, et l'on sonna les cloches partout. Rosette était inconsolable de la mort de sa maman.

Quand le roi et la reine eurent été enterrés, les marquis et les ducs du royaume firent monter le grand prince sur un trône d'or et de diamants, avec une belle couronne sur sa tête, et des habits de velours violet, chamarrés de soleils et de lunes. Et puis toute la cour cria trois fois :

« Vive le roi ! » L'on ne songea plus qu'à se réjouir.

Le roi et son frère décidèrent « A présent que nous sommes les maîtres, il faut retirer notre soeur de la tour où elle s'ennuie depuis longtemps. » Ils n'eurent qu'à traverser le jardin pour aller à la tour, qu'on avait bâtie la plus haute que l'on avait pu car le roi et la reine défunts voulaient qu'elle y demeurât toujours.

Rosette brodait une belle robe sur un métier qui était là devant elle -, mais quand elle vit ses frères, elle se leva et prit la main du roi, lui disant :

« Bonjour, sire ! Vous êtes à présent le roi, et moi votre petite servante. Je vous prie de me retirer de la tour où je m'ennuie fort. »

Et, là-dessus, elle se mit à pleurer. Le roi l'embrassa, et lui dit de ne point pleurer -, qu'il venait pour l'ôter de la tour, et la mener dans un beau château. Le prince avait ses poches pleines de dragées, qu'il donna à Rosette.

« Allons, lui dit-il, sortons de cette vilaine tour ! Le roi te mariera bientôt ! Ne t'afflige point !»

Quand Rosette vit le beau jardin tout rempli de fleurs, de fruits, de fontaines, elle demeura si étonnée qu'elle ne pouvait pas dire un mot, car elle n'avait encore jamais rien vu d'aussi beau. Elle regardait de tous côtés -, elle marchait, elle s'arrêtait ; elle cueillait des fruits sur les arbres, et des fleurs dans le parterre : son petit chien, appelé Frétillon, qui était vert comme un perroquet, qui n'avait qu'une oreille, et qui dansait à ravir, allait devant elle, faisant jap, jap, jap, avec mille sauts et mille cabrioles.

Frétillon réjouissait fort la compagnie. Il se mit tout d'un coup à courir dans un petit bois. La princesse le suivit et fut émerveillée de voir, dans ce bois, un grand paon qui faisait la roue et qui lui parut si beau, si beau, qu'elle n'en pouvait détourner ses yeux.

Le roi et le prince arrivèrent auprès d'elle, et lui demandèrent à quoi elle s'amusait. Elle leur montra le paon, et leur demanda ce que c'était que cela. Ils lui dirent que c'était un oiseau dont on mangeait quelquefois.

«Quoi ! dit-elle, on ose tuer un si bel oiseau, et le manger ? Je vous déclare que je ne me marierai jamais qu’au roi des paons, et quand j’en serai la reine, j’empêcherai bien que l'on en mange. »

'on ne peut dire l'étonnement du roi. «Mais, ma soeur, lui dit-il, où voulez-vous que nous trouvions le roi des paons ?

- Où il vous plaira, sire ! Mais je ne me marierai qu'à lui ! »

Après avoir pris cette résolution, les deux frères la conduisirent à leur château, où il fallut apporter le paon, et le mettre dans sa chambre. Les dames qui n'avaient pas encore vu Rosette, accoururent pour la saluer : les unes lui apportèrent des confitures, les autres du sucre ; les autres des robes d'or, de beaux rubans, des poupées, des souliers en broderie, des perles, des diamants.

Pendant qu'elle causait avec des amis, le roi et le prince songeaient à trouver le roi des paons, s'il y en avait un au monde. Ils s'avisèrent qu'il fallait faire un portrait de la princesse Rosette ; et Ils le firent faire si beau, qu'il ne lui manquait que la parole et lui dirent :

« Puisque vous ne voulez épouser que le roi des paons, nous allons partir ensemble, et nous irons le chercher par toute la terre. Prenez soin de notre royaume en attendant que nous revenions. »

Rosette les remercia de la peine qu'ils prenaient -, elle leur dit qu'elle gouvernerait bien le royaume, et qu'en leur absence tous son plaisir serait de regarder le beau paon et de faire danser Frétillon. Ils ne purent s'empêcher de pleurer en se disant adieu.

Voilà les deux princes partis, qui demandaient à tout le monde :

« Ne connaissez-vous point le roi des paons ?

- Non, non !»

Ils passaient et allaient encore plus loin. Comme cela, ils allèrent si loin, si loin, que personne n'a jamais été si loin.

ls arrivèrent au royaume des hannetons : il ne s'en est point encore tant vu ; ceux-ci faisaient un si grand bourdonnement que le roi avait peur de devenir sourd. Il demanda à celui qui lui parut le plus raisonnable s'il ne savait point en quel endroit il pourrait trouver le roi des paons.

« Sire, lui dit le hanneton, son royaume est à trente mille lieues d'ici. Vous avez pris le plus long chemin pour y aller.

- Et comment savez-vous cela ? dit le roi.

- C'est, répondit le hanneton, que nous vous connaissons bien, et que nous allons tous les ans passer deux ou trois mois dans vos jardins. »

Voilà le roi et son frère qui prirent le hanneton bras dessus, bras dessous : en guise d'amitié, ils dînèrent ensemble. Ils virent avec admiration toutes les curiosités de ce pays-là, ou la plus petite feuille d'arbre vaut une pistole. Après cela, ils partirent pour achever leur voyage, et comme ils savaient le chemin, ils ne mirent pas longtemps. Ils voyaient tous les arbres chargés de paons, et tout en était si rempli qu'on les entendait crier et parler de deux lieues.

Le roi disait à son frère

«Si le roi des paons est un paon lui-même, comment notre soeur prétend-elle l'épouser ? Il faudrait être fou pour y consentir. Voyez la belle alliance qu'elle nous donnerait, des petits paonneaux pour neveux.»

Le prince n'était pas moins en peine : «C'est là, dit-il, une malheureuse fantaisie qui lui est venue dans l'esprit. Je ne sais où elle a été deviner qu'il y a dans le monde un roi des paons. »

Quand ils arrivèrent à la grande ville, ils virent qu'elle était pleine d'hommes et de femmes, mais qui avaient des habits faits de plumes de paon, et qu'ils en mettaient partout comme une fort belle chose. Ils rencontrèrent le roi qui allait se promener dans un beau petit carrosse d'or et de diamants, que douze paons menaient à toute bride. Ce roi des paons était si beau, si beau, que le roi et le prince en furent charmés : il avait de longs cheveux blonds et frisés, le visage blanc, une couronne de queue de paon. Quand il les vit, il jugea que puisqu'ils avaient des habits d'une autre façon que les gens du pays, il fallait qu’ils fussent étrangers ; et pour le savoir, il arrêta son carrosse, et les fit appeler.

Le roi et le prince vinrent à lui. Ayant fait la révérence, ils lui dirent :

«Sire, nous venons de bien loin pour vous montrer un beau portrait. »

ls tirèrent de leur valise le grand portrait de Rosette. Lorsque le roi des paons l'eut bien regardé :

«Je ne peux croire, dit-il, qu'il y ait au monde une si belle fille !

- Elle est encore cent fois plus belle, dit le roi.

- Ah ! vous vous moquez, répliqua le roi des paons.

- Sire, dit le prince, voilà mon frère qui est roi comme vous. Notre soeur, dont voici le portrait, est la princesse Rosette nous venons vous demander si vous voulez l'épouser ; elle est belle et bien sage, et nous lui donnerons un boisseau d'écus d'or.

- Oui, dit le roi, je l'épouserai de bon coeur. Elle ne manquera de rien avec moi, je l'aimerai beaucoup : mais je vous assure que je veux qu'elle soit aussi belle que son portrait, sinon, je vous ferai mourir.

- Eh bien, nous y consentons, dirent les deux frères de Rosette.

- Vous y consentez ? ajouta le roi. Allez donc en prison, et restez-y jusqu'à ce que la princesse soit arrivée. »

Les princes le firent sans difficulté, car ils étaient bien certains que Rosette était plus belle. que son portrait.

Lorsqu'ils furent dans la prison, le roi allait les voir souvent et il avait dans son château le portrait de Rosette, dont il était si fou qu'il ne dormait ni jour, ni nuit. Comme le roi et son frère étaient en prison, ils écrivirent par la poste à la princesse de faire rapidement sa malle et de venir le plus vite possible parce que, enfin, le roi des paons l'attendait. Ils ne lui dirent pas qu'ils étaient prisonniers, de peur de l'inquiéter trop.

Quand elle reçut cette lettre, elle fut tellement transportée qu'elle pensa en mourir. Elle dit à tout le monde que le roi des paons était trouvé, et qu'il voulait l'épouser. On alluma des feux de joie, on tira le canon ; l'on mangea des dragées et du sucre partout.

Elle laissa ses belles poupées à ses amies, et le royaume de son frère entre les mains des plus sages vieillards de la ville. Elle leur recommanda bien de prendre soin de tout, (Je ne guère dépenser, d'amasser de l'argent pour le retour du roi ; elle les pria de conserver son paon, et ne voulut emmener avec elle que sa nourrice et sa soeur de lait, avec le petit chien vert Frétillon.

Elles se mirent dans un bateau sur la mer. Elles portaient le boisseau d'écus d'or et des habits pour dix ans, à en changer deux fois par jour. Elles ne faisaient que rire et chanter. La nourrice demandait au batelier :

« Approchons-nous, approchons-nous du royaume des paons ?»

l lui disait :

« Non, non ! »

Une autre fois elle lui demandait :

« Approchons-nous, approchons-nous ? »

Il lui disait

« Bientôt, bientôt. »

Une autre fois elle lui dit :

« Approchons-nous, approchons-nous ? »

Il répliqua

« Oui, oui. »

Et quand il eut dit cela, elle se mit au bout du bateau, assise auprès de lui, et lui dit :

« Si tu veux, tu seras riche à jamais. »

Il répondit :

«Je le veux bien !»

Elle continua :

« Si tu veux, tu gagneras de bonnes pistoles. »

l répondit

«Je ne demande pas mieux.

- Eh bien, dit-elle, il faut que cette nuit, pendant que la princesse dormira, tu m’aides à la jeter dans la mer. Après qu'elle sera noyée, j’habillerai ma fille de ses beaux habits, et nous la mènerons au roi des paons qui sera bien aise de l'épouser , et, pour ta récompense, nous te donnerons plein de diamants. »

Le batelier fut bien étonné de ce que lui proposait sa nourrice ; il lui dit que c'était dommage de noyer une si belle princesse, qu’elle lui faisait pitié : mais elle prit une bouteille de vin, et le fit tant boire qu'il ne savait plus rien lui refuser.

La nuit étant venue, la princesse se coucha : son petit Frétillon était joliment couché au fond du lit, sans remuer ni pieds, ni pattes. Rosette dormait à poings fermés, quand la méchante nourrice, qui ne dormait pas, s'en alla quérir le batelier. Elle le fit entrer dans la chambre de la princesse ; puis, sans la réveiller, ils la prirent avec son lit de plume, son matelas, ses draps, ses couvertures. La soeur de lait les aidait de toutes ses forces. Ils jetèrent le tout à la mer ; et la princesse dormait de si bon sommeil, qu'elle ne se réveilla point.

Mais ce qu'il y eut d'heureux, c'est que son lit de plume était fait de plumes de phénix, qui sont fort rares, et qui ont cette propriété qu'elles ne vont jamais au fond de l'eau ; de sorte qu'elle nageait dans son lit, comme si elle eût été dans un bateau.

L'eau pourtant mouillait peu à peu son lit de plume, puis le matelas ; et Rosette, sentant de l'eau, eut peur d'avoir fait pipi au dodo, et d'être grondée.

Comme elle se tournait d'un côté sur l'autre, Frétillon s'éveilla. Il avait le nez excellent ; il sentait les soles et les morues de si près, qu'il se mit à japper, à japper, tant qu'il éveilla tous les autres poissons.

Ils commencèrent à nager : les gros poissons donnaient de la tête contre le lit de la princesse, qui ne tenant à rien, tournait et retournait comme une pirouette. Dame, elle était bien étonnée !

«Est-ce que notre bateau danse sur l'eau ? disait-elle. Je n'ai jamais été aussi mal à mon aise que cette nuit. »

Et toujours Frétillon qui jappait, et qui faisait une vie de désespéré. La méchante nourrice et le batelier l'entendaient de bien loin, et disaient :

« Voilà ce petit drôle de chien qui boit avec sa maîtresse à notre santé. Dépêchons-nous d'arriver ! » Car ils étaient tout près de la ville du roi des paons.

l avait envoyé au bord de la mer cent carrosses tirés par toutes sortes de bêtes rares : il y avait des lions, des ours, des cerfs, des loups, des chevaux, des boeufs, des ânes, des aigles, des paons. Le carrosse où la princesse Rosette devait prendre place était traîné par six singes bleus, qui sautaient, qui dansaient sur la corde, qui faisaient mille tours agréables : ils avaient de beaux harnais de velours cramoisi, avec des plaques d'or. On voyait soixante jeunes demoiselles que le roi avait choisies pour la divertir. Elles étaient habillées de toutes sortes de couleurs, et l'or et l'argent étaient la moindre chose.

La nourrice avait pris grand soin de parer sa fille ; elle lui mit les diamants de Rosette à la tête et partout, ainsi que sa plus belle robe : mais elle était avec ses ajustements plus laide qu'une guenon, ses cheveux d'un noir gras, les yeux de travers, les jambes tordues, une grosse bosse au milieu du dos, de méchante humeur et maussade, qui grognait toujours.

Quand tous les gens du roi des paons la virent sortir du bateau, ils demeurèrent si surpris, qu'ils ne pouvaient parler.

« Qu'est-ce que cela ? dit-elle. Est-ce que vous dormez ? Allons, allons, que l'on m'apporte à manger ! Vous êtes de bonnes canailles, je vous ferai tous pendre ! » A cette nouvelle, ils se disaient :

«Quelle vilaine bête ! Elle est aussi' méchante que laide. Voilà notre roi bien marié, je ne m'étonne point ; ce n'était pas la peine de la faire venir du bout du monde. » Elle faisait toujours la maîtresse, et pour moins que rien elle donnait des soufflets et des coups de poing à tout le monde.

Comme son équipage était fort grand, elle allait doucement. Elle se carrait comme une reine dans son carrosse. Mais tous les paons qui s'étaient mis sur les arbres pour la saluer en passant, et qui avaient résolu de crier : «Vive la belle reine Rosette ! », quand ils l'aperçurent si horrible, ils criaient :

« Fi, fi, qu'elle est laide »

Elle enrageait de dépit, et disait à ses gardes :

«Tuez ces coquins de paons qui me chantent injures. »

Les paons s'envolaient bien vite et se moquaient d'elle.

e fripon de batelier, qui voyait tout cela, disait tout bas à la nourrice :

« Commère, nous ne sommes pas bien , votre fille devrait être plus jolie. » Elle lui répondit

«Tais-toi, étourdi, tu nous porteras malheur. »

L'on alla avertir le roi que la princesse approchait.

« Eh bien, dit-il, ses frères m'ont-ils dit vrai ? Est-elle plus belle que son portrait ?

- Sire, dit-on, c'est bien assez qu'elle soit aussi belle.

- Oui, dit le roi, j'en serai bien content : allons la voir !»

Car il entendit, par le grand bruit que l'on faisait dans la cour, qu'elle arrivait, et il ne pouvait rien distinguer de ce que l'on disait, sinon : « Fi, fi, qu'elle est laide ! » il crut qu'on parlait de quelque naine ou de quelque bête qu'elle avait peut-être amenée avec elle, car il ne pouvait lui entrer dans l'esprit que ce fût effectivement de la jeune fille.

L’on portait le portrait de Rosette au bout d'un grand bâton tout découvert, et le roi marchait gravement après, avec tous ses barons et tous ses paons, puis les ambassadeurs des royaumes voisins. Le roi des paons était impatient de voir sa chère Rosette. Dame ! quand il l'aperçut, il faillit mourir sur place ; il se mit dans la plus grande colère du monde ; il déchira ses habits ; il ne voulait pas l'approcher : elle lui faisait peur.

« Comment, dit-il, ces deux marauds que je tiens dans mes prisons ont bien de la hardiesse de s'être moqués de moi et de m'avoir proposé d'épouser une magotte comme cela : je les ferai mourir. Allons, que l'on enferme tout à l'heure cette pimbêche, sa nourrice et celui qui les amène ! Qu'on les mette au fond de ma grande tour ! »

D'un autre côté, le roi et son frère, qui étaient prisonniers, et qui savaient que leur soeur devait arriver, s'étaient habillés de beau pour la recevoir. Au lieu de venir ouvrir la prison, et les mettre en liberté ainsi qu'ils l'espéraient, le geôlier vint avec des soldats et les fit descendre dans une cave toute noire, pleine de vilaines bêtes, où ils avaient de l'eau jusqu'au cou.

« Hélas ! se disaient-ils l'un à l'autre, voilà de tristes noces pour nous. Qu'est-ce qui peut nous procurer un si grand malheur ? »

ls ne savaient au monde que penser, sinon qu'on voulait les faire mourir.

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27/07/2008
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