gardez le sourire

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Conte n°1 : LES MYSTERES DE RENAGE

Conte n°1 :

LES MYSTERES DE RENAGE

Chapitre 1

DEPART VERS L’INCONNU

1.

Etait-ce bien raisonnable ? Personne parmi nous cinq ne s’était posé cette question. Des adultes auraient répondu : Non ! Evidemment ! A cela, rien d’étonnant puisque ce sont eux qui édictent les lois, les normes, les barrières qui nous emprisonnent. Mais nous les adolescents, nous avons aussi nos propres lois, nos principes, nos normes …qui d’ailleurs, il faut bien l’avouer, ne sont pas toujours très normales. Peut-être que les trépidations de ce monde moderne, l’accélération dans laquelle nous vivons nous prédisposent-elles, au rêve, à l’évasion, à l’aventure. Toujours est-il qu’il serait vain de chercher la raison, pour le moins raisonnable, qui pourrait justifier notre présence face à ce trou béant plongeant dans les entrailles de la terre. Cinq copains du lycée de Rives, tous natifs de Renage le bourg voisin. Cette tâche sombre à la voûte épaisse, presqu’au sommet de ce pré pentu, semblait nous narguer de son œil sombre.

L’inconnu, à 2 pas de chez nous, dans ce pré serré entre deux routes fréquentées, à la sortie de Renage. Il faut aussi vous dire que Pierrot est particulièrement doué pour nous emporter dans des aventures extraordinaires, souvent farfelues. C’est le dernier de la classe, ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas intelligent. Je crois que pendant les cours, il passe son temps à rêver, l’esprit toujours ailleurs dérivant au dessus des paroles de nos professeurs.

Hier, à la sortie de l’école, dès que le car nous eut déposé à Renage, il nous entraîna vers un des bancs que la municipalité a installé sur les boulevards bordés de gros platanes.

- J’ai tous les documents. Les plans des galeries, et aussi… là il marqua un arrêt, ferma les yeux le visage inspiré et mystérieux, pour ajouter : le vieux grimoire, le vrai, l’unique grimoire qui renferme tous les secrets de ce domaine souterrain qui fut construit au 9 ième siècle. A cette époque, notre région faisait partie de la Lotharingie, ce qui ne plaisait pas aux seigneurs régionaux qui projetaient de posséder leurs propres domaines, indépendants du pouvoir central. C’est ainsi qu’ils créèrent le royaume indépendant de Burgundie. Lothaire étant très puissant, par peur des représailles, ils eurent l’idée de relier tous les châteaux de la région par des souterrains leur offrant ainsi la possibilité soit de fuir, s’ils étaient submergés, soit de se porter secours mutuellement, même si l’ennemi occupait le terrain. Ces souterrains sont truffés de salles immenses, pouvant accueillir de nombreux soldats et dont l’accès est protégé par des mécanismes secrets comportant des pièges redoutables pour les non initiés. Mais, nous, les nobles descendants des comtes d’Albon, ceux qui ouvrirent la lignée des Dauphins, nous allons reprendre possession de notre domaine souterrain et de ses richesses. La gloire est devant nous et ne peut attendre plus longtemps.

Et c’est ainsi que le lendemain après midi, nous étions tous les 5 réunis devant ce minuscule trou bouché par un grillage pour éviter aux animaux de s’y perdre. Il y a longtemps déjà, le paysan, propriétaire du terrain, y avait perdu un âne.

- Vous avez tous, dans votre sac à dos, le matériel que je vous ai demandé d’emporter : lampes, piles, nourriture, couteau. Bien chaussés, bien vêtus. Très bien. Maintenant allons y.

Il débarrassa le passage du grillage qui l’obturait, se retourna vers nous, tête déjà baissée :

- Nous devons économiser nos lampes de poches pour ne les utiliser qu’en secours. La route est longue, l’aventure est devant nous. Nous allons démarrer avec nos torches. Vous pouvez les allumer.

Sitôt le seuil franchi, le plafond s’élevait et nous pouvions progresser sans nous baisser. Nos torches faites de résines attachées à l’extrémité d’un bout de bois avec un cordon imbibé d’huile, projetaient nos ombres contre les rochers. On aurait dit des fantômes exécutant une sarabande diabolique. Nous progressions lentement car nous devions faire très attention, le parcours étant semé d’embûches. Parfois, c’étaient des dalles du plafond qui faisaient saillies, parfois le sol nous piégeait de ses creux tapis dans l’ombre. De temps à autre le cri de l’un de nous, souvent accompagné d’un juron, nous avertissait d’un de ces dangers.

Une forte odeur de résine se répandait dans ce boyau souterrain. Certaines torches fumaient plus que d’autres bien que toutes de fabrication presque identique. Allez savoir pourquoi. Ce qui au début nous amusait devenait gênant maintenant car les fumées commençaient à nous piquer les yeux. Malgré tous ces petits ennuis, nous avancions doucement mais sûrement. Soudain Pierrot s’arrêta et baissa sa torche. Nous fîmes cercle autour des ossements qu’il nous montrait en agitant sa torche.

- Nous voici devant les restes d’un dinosaure. Un jeune dinosaure évidemment. Nous ramènerons son squelette à notre retour pour en faire don au musée de Grenoble.

- Dis donc Pierrot, je crois qu’il y a un problème. Si les dinosaures ont disparu depuis 60 millions d’années et que ton souterrain a été creusé dans les années 800, on peut se demander comment ton dinosaure est arrivé ici.

- C’est une longue histoire. Je vais vous expliquer. Celui-ci a vraisemblablement servi de nourriture à des extraterrestres qui ont atterri plus tard, ce qui prouve qu’il y en a encore sur d’autres planètes. Je ne vous l’ai pas dit mais ces souterrains ont aussi servi de repaire à des extra-terrestres qui se cachaient ici pour nous espionner.

- Et tu es sûr qu’il n’en reste pas de cachés ? demanda encore Robert d’un air faussement inquiet.

- Certain ! Ce qui ne m’empêche pas de penser qu’ils ont dû oublier dans ces galeries des objets, des témoignages de leur civilisation. Si nous les découvrons, nous deviendrons tous célèbres. Je vous le dis les gars, on est sur un filon.

- Puisque tu le dis, c’est indubitablement vrai, fit Mario en toussant, et il partit dans une longue quinte de toux,

Puis ce fut Jeanne qui toussa, puis moi … puis la toux devint générale.

- On va s’étouffer ici, filons rapidos, cria Robert, en faisant demi tour.

Nous nous engageâmes sur ses pas mais déjà il rebroussait chemin un mouchoir plaqué sur son visage.

- L’air est irrespirable dans le tunnel, murmura-t-il, on est condamné à avancer. Il faut éteindre les torches et avancer.

- Moi je reste devant, je garde ma torche, vous, vous éteignez les vôtres, allons-y, suivez moi, ordonna Pierrot. Tenez-vous près les uns des autres. Tout ceci n’est rien, c’est un message de nos aïeux qui nous demandent d’aller de l’avant, ajouta-t-il entre deux quintes de toux.

Et nous reprîmes notre marche à la queue leu leu, en silence, chacun essayant de cacher la crainte qui commençait à naître en nous. Au fur et à mesure que nous avancions, le tunnel s’améliorait progressivement, maintenant nous pouvions marcher droit. Parfois, un petit éboulement fait d’un mélange de terre et de pierres obstruait une partie du couloir. Au ras du sol, sur la gauche un petit filet d’eau sortait d’une anfractuosité et s’écoulait silencieusement sur le côté.

Robert fermait la marche. Les garçons avaient placé les deux filles au milieu de la colonne. En tête Pierrot, suivi de Mario.

- Pierrot ! cria Robert, tu n’as pas peur de tomber dans une oubliette ? Tu devrais t’attacher.

- Non, ici ça ne craint rien, c’est le couloir de sortie, par contre, plus loin, près des châteaux, il faudra faire très attention. A mon avis, jusqu’à la première salle, y’a pas de problèmes.

Nous marchions, nous marchions toujours. A vrai dire, je n’étais pas très rassurée. Là, sous terre, je ressentais les nuisances de ce sentiment de claustrophobie très désagréable, mais il n’était pas question de le révéler à mes compagnons. C’était comme une crainte que la terre s’écrase sur nous et nous étouffe. Pierrot devant ne ralentissait pas l’allure. Soudain il cria.

- Je crois qu’on a un problème.

Un éboulement barrait le souterrain. Nous faisions tristes mines, groupés contre cet obstacle imprévu pendant que Pierrot inspectait les lieux.

- Regardez, la voûte et les parois ne sont pas détériorées, les vieux construisaient du costaud, à cette époque. Il immobilisa sa torche sur un évidement sur le côté et poursuivit : là, il y a un gros trou dans la paroi. C’est donc pas le tunnel qui s’est écroulé, mais quelqu’un qui l’a bouché volontairement.

Il revint vers l’éboulis, balada sa torche.

- Regardez ! Au sommet la flamme de la torche est attirée de l’autre côté, en haut il n’y a peu de matériaux puisque l’air circule, on va dégager.

Sacs à terre, on se mit au travail. Pierrot qui avait bien préparé l’expédition, avait apporté une mini pelle pliante. En peu de temps, nous eûmes réalisé un trou suffisamment grand dans l’éboulis pour nous permettre de passer.

De l’autre côté, Pierrot nous fit face, le petit doigt levé vers le ciel.

- Mes amis, d’après mes calculs, nous approchons d’Izeaux et bientôt nous allons nous trouver vers la ramification des différents tunnels reliant les anciens châteaux forts de la région. Le premier a été construit pour alimenter l’abbaye de Parménie à moins de 3 kilomètres. Comme vous le savez, les sarrasins après avoir été battus à Poitiers, ne sont pas repartis comme on nous l’apprend à l’école, mais ont remonté la vallée du Rhône. Sur la colline de Parménie, les gens de l’époque ont construit une abbaye fortifiée pour accueillir les évêques de Vienne et de Grenoble. Malheureusement, en cas de siège il était impossible de les ravitailler et éventuellement de les évacuer. Ils ont alors construit un tunnel en direction de Parménie, située au Sud-Est. Au Sud-ouest, un autre part vers le Château de Marnans à une quinzaine de kilomètres et entre les deux, un autre vers le château de La Forteresse. Au Nord, un autre conduit au Château de Virieu qui certainement était relié à celui des comtes de Clermont au dessus de Charavines. On ne sait pas exactement s’ils partent du même point, où si les ramifications se font plus loin. C’est là que nous risquons de trouver des pièges. En aucun cas, nous devons en choisir un à la légère. Il faudra exploiter les indices pour trouver une direction sûre. Je vous propose en premier lieu Parménie qui fut un haut lieu culturel et spirituel de l’époque. C’est là que nous avons le plus de chances de récupérer des vestiges précieux de cette époque.

- Tu parles d’indices, c’est bien gentil mais comment en trouver ? C’est un peu hasardeux ton histoire. Ils sont de quelle couleur tes indices, comment sont-ils faits, que mangent-ils l’hiver ? S’il y a des pièges on risque de terminer dans une oubliette, fit Mario d’une voix à le fois larmoyante et acidulée.

- Nous les chercherons en temps et lieu opportuns, quand il le sera nécessaire.

Sur ce Pierrot endossa son sac et reprit sa marche aventureuse. Nous, on se posait des questions, déjà plus de 2 heures que nous marchions et cette aventure dans ce monde souterrain inexploré commençait à nous inquiéter sérieusement. Moi, je n’osais rien dire mais je sentais la peur m’envahir. Je suivais en silence. Comment en étions nous arriver là alors que nous savions tous que Pierrot planait dans un autre monde ? Il faut aussi reconnaître que Robert tout comme lui s’évadait souvent dans l’irréel. Mario, lui, ne proposait jamais rien de farfelu, il se contentait de suivre, comme moi d’ailleurs, sauf qu’il était moins froussard que moi. Jeanne, c’était mon alter ego, elle suivait toujours ces deux idiots. Sûr qu’un jour, nos aventures se termineront mal. Pourvu que papa ne téléphone pas à mademoiselle Eloïse, notre prof de langues. Nous avions dit à nos parents que l’école organisait une sortie ce week-end.

Soudain un grand cri résonna dans le tunnel avant de se perdre dans les ténèbres de la terre.

- Ca y est. En voilà une !

Pierrot jubilait de joie. Nous nous précipitâmes.

Emerveillés. Nos yeux ébahis découvraient une immense salle souterraine. Une véritable cathédrale avec ses voûtes de pierres ses colonnes aux chapiteaux sculptés reposant sur de larges bases en pierre. L’instant de stupeur passé, poussés par la curiosité, nous partîmes à la découverte de ce lieu mystérieux, à la fois surpris, intrigués, émerveillés. La lumière bien que filtrée tombait de petites ouvertures cylindriques pratiquées dans les voûtes qui se prolongeaient très haut jusqu’à la surface. Cette faible lumière suffisait néanmoins à sortir les lieux des ténèbres et nous permettait d’évoluer sans risque de butter sur un obstacle.

- Le souterrain continue ici, cria Robert, le bras tendu devant lui.

- Surtout n’y va pas, ordonna Pierrot d’une voix impérieuse.

Nous avons déambulés ainsi un bon quart d’heure dans notre nouveau domaine. Bien évidemment nous en revendiquions la propriété. Elle devenait notre salle et de ce fait, la défiance envers Pierrot qui commençait à nous gagner il y a encore peu de temps, s’envola comme par enchantement. Nous étions aux anges, tout à notre émerveillement. En fin de comptes, nous découvrîmes quatre départs de souterrains. Chaque départ était entouré de petites colonnes supportant une poutre de pierre. Des inscriptions étaient écrites sur les poutres, rappelant des citations latines. Pierrot les nota avec soin.

- Il est 19 heures, je crois que nous méritons un peu de repos. Nous allons en profiter pour faire un petit casse croûte, ici, nous sommes en sécurité, claironna-t-il rayonnant.

La base d’une colonne nous offrait un siége providentiel. Nous avons déposé nos sacs et commencé à manger.

- Tes plans, n’ont pas l’air d’être bidon. Comment as-tu fait pour te les procurer ? demanda Robert. Je t’avoue qu’au départ je n’y croyais pas et je pensais que nous allions vite faire demi tour.

- Tous les anciens racontent qu’autrefois des souterrains reliaient tous les châteaux de la région. Bien sûr tout le monde pensait qu’il s’agissait d’une légende, mais vous savez, souvent les légendes, les contes, partent d’un fait réel. Mon père qui est un passionné de l’histoire du Dauphiné, prépare en ce moment un bouquin sur ce sujet. Il a fait des recherches. Comme il est le responsable de la commission culturelle de Renage, on a bien voulu l’autoriser à consulter de vieux ouvrages, soigneusement conservés dans une pièce spéciale de la bibliothèque de Grenoble dont l’accès est interdit au public. Il a pris des photos que j’ai retrouvées sur son bureau. Voilà, vous savez tout. Tout le monde pense que ces souterrains ont disparu, éboulés, bouchés. Personne n’a jamais essayé avant nous.

- Cela peut se comprendre, intervint Robert, le cerveau du groupe, l’air pensif. Nos prédécesseurs, ont essayé de les découvrir en partant des ruines de ces châteaux. Comment dans ces éboulis envahis par les ronces pouvaient-ils découvrir des départs de souterrains certainement très profonds sous terre. Nous à l’inverse, nous avons démarré par une sortie discrète, même très discrète puisqu’ignorée de tous.

- C’est incroyable, jamais j’aurais pensé qu’ils puissent exister, murmura Mario en extase.

- Tout à l’heure, tu parlais de quatre départs reliant les différents châteaux du secteur, ce sont les quatre que nous venons de découvrir ?

- Attention ! C’est ce qu’on peut penser si on n’y réfléchit pas un peu. A mon avis il n’y en a qu’un de bon. Les départs vers les autres châteaux doivent se faire ailleurs. Ce serait trop facile et contraire à la sécurité de ces châteaux. A partir de maintenant, il faut réfléchir car si on se trompe, adieu la vie. On finira enterrés. Sur le livre écrit par l’évêque de Grenoble de l’époque il est écrit une phrase en latin qui veut dire à peu près ceci. " Dans les chemins de terre, l’étranger sera enterré ".

- Ca veut rien dire quoi ? répliqua Jeanne dubitative.

- En effet si tu lis : " les chemins de terre ", ça ne veut rien dire, mais si tu traduis, " les chemins sous terre ", ça veut bien dire ce que ça veut dire. La calligraphie du " de ", n’est pas exactement celle de l’époque. Voilà l’astuce. Ce livre, destiné aux archives religieuses de notre région, révèle donc deux indices pour annoncer l’existence de pièges.

- Et comment saurons-nous, quel chemin suivre ? demandais-je inquiète.

- En étudiant les inscriptions au départ de chaque souterrain. Je les ai relevées, à nous de trouver la solution, sans nous tromper. Ici, c’est pas un zéro qu’on aura, si on se gourre, mais on y laissera notre vie. Je vous les lis :

La première : Ave Caesar morituri te salutant

- Ah oui, c’est le grand souterrain face au boyau par lequel nous sommes arrivés, c’est un hommage à César et c’est aussi le plus vaste, pour laisser passer des soldats, fit Robert. Certainement le bon.

- Doucement, pas de précipitations. Nous allons les étudier très sérieusement, pas question de prendre une décision à la légère, les conséquences seraient trop graves, pour ne pas dire catastrophiques. Je continue :

La deuxième : Acta est fabula

La troisième : Ad augusta per angusta

Et la quatrième : Ad patres

2.

Nous fûmes rapidement d’accord sur le tunnel à suivre. Il s’agissait sans aucun doute de celui désigné par la citation : " Ad augusta per augusta ". Que nous avons traduite par : " A des résultats magnifiques par des voies étroites ". Le sens nous paraissait très clair. Dans notre situation, une première énigme facile à résoudre puisque toutes les autres portaient une allusion à la mort ou à la fin. La fin d’une pièce comme la fin d’un parcours.

Pierrot nous avait recommandé de prévoir de la nourriture pour 2 jours au minimum. Des aliments consistants ne demandant aucune préparation : pains d’épices, biscuits, œufs durs, céréales, chocos. Pour la nourriture le choix ne manquait pas, surtout pour nous habitués à faire des randonnées en montagne. Pour la boisson, une gourde d’eau devait suffire ce qui se révéla pour l’instant exact compte tenu des nombreux filets d’eau qui apparaissaient un peu partout et qui étaient collectés dans des rigoles courant sur les côtés. L’eau d’une limpidité cristalline, filtrée par les couches de terre, aboutissait dans plusieurs bassins en pierre répartis dans la salle, puis canalisée dans une rigole pour s’évacuer vers le souterrain par lequel nous étions venus.

Après ce léger repas nous avons discuté pendant plus d’une heure avant de prendre un petit repos bien gagné. Le principal sujet de notre conversation, tout au moins au début porta sur le choix du tunnel à prendre. La solution paraissait très simple et nous fûmes vite d ‘accord. J’avais vainement essayé de raisonner mes collègues mais mes paroles déclenchèrent un véritable scandale. Qu’avais-je osé dire en faisant remarquer que nous pouvions être très satisfaits de notre découverte et nous en tenir là ? La sagesse bonne conseillère nous recommandait de faire demi tour, quitte à revenir ensuite mieux équipés.

- Tu es devenue folle Anaïs, protesta vigoureusement Robert, ou on ne nous croira pas et on passera comme d’habitude pour des farfelus, ou bien on nous croira et les adultes débarqueront ici avec tout un équipement et nous voleront notre découverte. En guise de remerciements, le site sera classé et on nous interdira d’y retourner. Tu sais bien comment ça se passe. Non ! Il faut aller jusqu’au bout et revenir avec des pièces à conviction indiscutables. Créer des documents qui prouveront que nous sommes les premiers découvreurs. Non ! Ce n’est vraiment pas le moment de faire demi-tour.

- Il y a trop longtemps que je prépare en secret cette expédition pour tout abandonner maintenant, renchérit Pierrot.

Mario lui, incapable de faire preuve de la moindre initiative imaginative prenait son pied dans les fantasmes illuminés de ces 2 fous et fonçait toujours tête baissée sur leurs talons. Quant à Jeanne elle suivait docilement. Je crois qu’elle adorait avoir peur sous réserve d’être protégée, ce qui était le cas avec ces trois garçons qui jamais ne nous laisseraient tomber si d’aventure les choses se gâtaient.

A minuit, après un petit somme, nous reprenions notre expédition vers l’inconnu. Nous étions limités par le temps car nous devions être de retour le lendemain soir. Mais ça, mes petits copains semblaient l’avoir déjà oublié ou devenait détail négligeable. Si les grands explorateurs s’étaient fixés des limites de temps, nous serions restés dans nos cavernes ou sur nos arbres. L’aventure était là et nous tendait les bras, eux fonçaient vers elle, moi elle m’emportait dans leur sillage comme un fétu de paille pris dans le tourbillon d’un torrent.

- Que risquons nous ? Pas grand chose, les souterrains sont en bon état. Notre objectif, ce sont les souterrains et les caches secrètes de Parménie. De somptueux trésors nous attendent. N’oubliez pas que Parménie depuis l’arrivée de l’homme sur terre a toujours été le centre cosmique des forces spirituelles et mystiques. De tous temps, les hommes y ont bâtis sur son sommet des autels, des sanctuaires, des temples. Ce furent d’abord des peuplades inconnues pratiquant des cultes païens, puis les Ligures, ensuite les Allobroges, et après ce furent les romains. Avant le christianisme on y vénérait la déesse Isis. N’oubliez pas que nous sommes ici à quelques pas du quarante cinquième parallèle là où les forces cosmiques créent un tourbillon entre l’équateur et le pôle Nord et au centre d’un tourbillon cosmique, il y a toujours un œil fixé sur le monde.

- On aurait dû l’appeler le mont Borgne s’il n’a qu’un œil, ironisa Robert à la déclaration pour le moins osée de Pierrot.

- Ne plaisante jamais avec ces choses, si tu ne veux pas attirer sur toi la colère du mauvais œil, recommanda Pierrot d’un ton grave à vous faire frémir les neurones dans les sabots.

Tout en parlant, nous avancions dans ce tunnel étroit qui maintenant s’élargissait sensiblement. Par mesure de sécurité Pierrot ouvrait la marche ceinturé par une corde qui quelques mètres plus loin enserrait la taille de Mario et qu’ensuite chacun de nous tenait fermement en mains, jusqu’à Robert. La fumée de nos torches semblait aspirée par un léger souffle d’air qui trahissait d’autres ouvertures ou conduits d’aérations. Et nos ombres reprirent leurs sarabandes fantomatiques contre les parois où suintaient des gouttes d’eau entre les pierres. La colonne de nos ombres vacillantes, surgissant ou disparaissant brutalement, incertaines et parfois monstrueuses, avait un aspect irréel, comme ces ombres qui vous hantent après un cauchemar visqueux qui vous englue l’esprit dans le néant, parmi les tortuosités de l’inconcevable.

- Quelque chose m’étonne, dis-je à Robert en me retournant. Nous avons un dénivelé de 500 mètres à gravir en quelques kilomètres et la pente me paraît bien faible.

- Depuis Izeaux la pente est moins abrupte que du côté de Renage où Parménie se dresse comme une vigie face à la montagne, de l’autre côté de la vallée. Peut-être que les moines ont allongé le parcours pour rendre la pente moins raide afin que les porteurs puisent amener plus facilement les provisions en cas de siège.

- Ouais, répondis-je peu convaincue.

Un chose était certaine : pour mes compagnons tout paraissait normal, rien ne pouvait les étonner. Ils plongeaient dans l’aventure s’attendant à des surprises encore plus étonnantes que ce que nous vivions. Ils étaient déjà dans un autre monde, ils y pénétraient en conquérants avec le courage de nos aïeux, les vaillants Allobroges qui donnèrent toujours du fil à retordre à ceux qui voulurent leur imposer leur loi. Le premier peuple démocratique du monde, un peuple épris de liberté. La France s’appropria le Dauphiné grâce aux fourberies de Louis XI mais il ne fut jamais conquis.

Devant moi, Jeanne marchait tête baissée, parfois elle regardait autour d’elle, comme si elle cherchait quelque chose, puis baissait de nouveau la tête. Moi, je serrais la corde dans ma main raidie par l’inquiétude, cette corde qui nous entraînait. Le silence de la terre enfermait notre propre silence dans ses entrailles. Ma montre indiquait deux heures, alors que mon inquiétude grandissait car à mon avis, si mes estimations s’avéraient exactes, nous étions sous la colline et certainement loin du sommet. Peut-être nous étions nous élevé de 100 à 200 mètres au maximum, mais comment évaluer cette côte quand on est sous terre ? Après la colline de Parménie, une autre colline un peu plus haute la prolonge sur la droite mais elle, n’a pas cette vue panoramique sur la vallée de l’Isère, donc moins d’intérêt stratégique, ensuite ce sont les immenses plateaux de Chambaran qui courent à l’Ouest jusqu’à la vallée du Rhône pour mourir dans le fleuve, traînant ses boues vers la mer. Le tunnel s’élargissait toujours et nous aurions pu marcher trois de front.

A la tête de notre petite colonne Pierrot stoppa, nous nous regroupâmes autour de lui. De sa torche, il inspectait les deux départs qui s’ouvraient devant nous.

- Je crois qu’on a un problème les gars. Le tunnel se coupe en deux et les deux se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Il faut essayer de trouver une indication, un signe, une flèche, une inscription.

Et nous voici partis avec nos torches comme des sioux à la recherche de signes, d’ inscriptions, d’indices. Rien à l’horizon, ni sous nos pieds, ni sous nos yeux. Nous faisions cercle autour de Pierrot plongé dans ses pensées. Après quelques minutes de longues réflexions, il extirpa de son sac sa petite pelle pliante et se mit à gratter la terre au seuil des deux départs de tunnels.

- Vous comprenez dit-il, le tunnel le plus utilisé, aura des traces d’usure plus prononcées sur les dalles du sol.

Il examina les dalles avec sa lampe de poche et sans hésiter annonça : " C’est celui là le bon !". D’accord, pensais-je, mais si ces tunnels ont été creusés dans le but d’approvisionner les évêques et les moines de l’abbaye en cas de siège et si il n’y a jamais eu de sièges, ce qui est fort probable car l’histoire régionale n’en parle pas, pourquoi des dalles seraient plus usées que d’autres. Peut-être le va et vient des ouvriers qui le construisirent. Je gardais mes réflexions pour moi, car je savais très bien comment elles auraient été accueillies par les autres. Au point où nous en étions, il fallait prendre une décision coûte que coûte. Autre détail inquiétant : le tunnel descendait au lieu de monter. Conservé dans un excellent état il avait passé l’outrage des ans avec succès. Deux mètres de large sur deux mètres de haut, un véritable boulevard. Les pierres s’alignaient impeccablement sur les parois et les voûtes. Du beau travail qui nous encourageait à aller de l’avant. C’est à peine si nous étions incommodés par la fumée de nos torches. Elles dégageaient une agréable odeur de sapin. Nous marchions en silence, nous allions de l’avant, oui, mais vers quoi ? Mes collègues semblaient grisés par cette aventure alors que moi, je sombrais dans une lourde inquiétude. Une telle aventure ne peut se faire sans un soutien logistique et la progression doit se faire par paliers. Il faut être fous pour persévérer ainsi avec une telle obstination. Dans mon for intérieur je souhaitais qu’un obstacle infranchissable vienne stopper notre progression. Absorbée par mes réflexions je n’avais pas remarqué qu’un fait nouveau venait de se produire. Il était quatre heures du matin et nous débouchions dans une petite salle cylindrique grâce à une petite ouverture d’un mètre de haut environ. Rien de comparable avec la dernière salle que nous avions quittée depuis bientôt quatre heures. Très haute au plafond, son diamètre ne dépassait pas les vingt mètres. Aussitôt nous entreprîmes son exploration et très vite pouvions en tirer la même conclusion. Cette salle ne comportait aucune ouverture. L’impasse que j’avais tant souhaitée ! Le ciel avait exaucé mes vœux.

- Alors Pierrot, qu’en penses-tu ? demanda Robert la voix amère.

- Eh bien, fis-je, réjouie par la survenue de cet obstacle. Nous voici dans un cul de sac, il ne nous reste plus qu’à faire demi-tour.

- Tu rêves Anaïs. On aura pas fait tout ce chemin pour rien. A chaque problème il y a une solution. Il faut la trouver, répondit-il la tête levée, les yeux inspectant les moindres recoins de la voûte et des murs.

- Avoue que tu t’es planté, Pierrot. Parménie est loin derrière nous. Depuis Izeaux nous avons certainement fait plus de 10 kilomètres. Il n’y a pas de souterrain qui mène au monastère, affirmais-je avec conviction.

- Tu n’y es pas Anaïs, il y a bel et bien un souterrain de secours qui part de l’abbaye. Les moines de l’époque n’étaient pas fous, ils brouillent les pistes pour des raisons de sécurité, mais nous, on est plus malins, on va trouver. On a marqué des points puisqu’on a trouvé l’entrée qui a échappé à des centaines de générations. Faut montrer qu’on a des neurones et qu’on sait s’en servir. L’endroit n’est pas mal, aéré, pas trop sombre, on va faire une petite halte, un petit casse croûte, une petite sieste et réfléchir un peu. Il sortit de son sac sa lampe à acétylène la posa au sol. Suivant son exemple, nous éteignîmes nos torches et entamèrent un repas léger.

Un quart d’heure plus tard nous dormions paisiblement. Tout au moins, mes quatre collègues car moi, en ce qui me concernait, d’horribles cauchemars venaient perturber mon repos. Je voyais des ombres partout qui allaient et venaient dans la pénombre autour de nous. Enfin, je réussis à m’assoupir plus profondément. Nous devions à tout prix dormir pour récupérer nos forces au maximum car sans aucun doute nous en aurions bien besoin par la suite.

A six heures du matin, branle bas de combat. C’est Pierrot qui sonna le réveil. Nous sortions lentement de notre torpeur quand il s’écria.

- Qui a fouillé mon sac ? C’est un monde, je n’en vois pas la raison. Si quelqu’un a oublié quelque chose, qu’il le dise. Tous les cinq on fait bloc, il ne faut pas que l’un de nous agisse sournoisement. Je sais comment je range mes affaires et maintenant c’est le foutoir.

- Le mien aussi, quelqu’un l’a fouillé, laissa tomber Robert d’une voix morne.

Effectivement nos sacs avaient été fouillés pendant notre sommeil. Pourtant rien n’y manquait rien sauf quelque chose.

- Ma lampe à acétylène que j’avais posée au milieu devant moi a disparu.

La déclaration de Pierrot jeta un froid parmi nous. Comment au fond d’un souterrain désert depuis des siècles un objet pouvait-il disparaître ?

- Le voleur ne doit pas être loin, fit-il en se précipitant vers l’entrée de la salle.

Une autre surprise nous attendait. Il n’y avait plus d’entrée. Nous étions dans une salle close. Il revint vers nous penaud, reprit sa place initiale.

- Je ne suis pas fou. J’étais ici, face à l’entrée. Je la voyais pendant que nous mangions, gronda-t-il le bras tendu devant lui. Il avança lentement dans la direction jusqu’au mur. Aucun doute possible, l’entrée se trouvait ici, vociféra-t-il. Et de la base du poing il frappa le mur.

Nous étions atterrés. L’angoisse me serrait la gorge. Je savais bien que cette aventure allait mal se terminer. Nous voici perdus sous terre, enfermés par un mystérieux sortilège dans un trou sans issue. L’angoisse, la peur, ça n’arrange pas les choses, maintenant, nous devions réagir, prendre notre sort entre nos mains et tout faire pour nous tirer de ce pétrin.

Pierrot revint vers nous.

- On est piégés Pierrot, on va mourir ci ? murmura Jeanne des sanglots dans la voix. Pierrot ne répondait rien, les bras croisés, il réfléchissait, comme les autres d’ailleurs. Tout le monde avait compris qu’il fallait faire quelque chose et surtout ne pas sombrer dans une mortelle apathie. Pour la première fois le danger de la mort se manifestait. Elle était là, présente autour de nous, rôdant insidieusement pour mieux nous surprendre. Un cocktail morbide : notre situation loin et sous la terre, les ténèbres dans lesquels nous évoluions, et maintenant des événements mystérieux.

- Si c’était un piège, il y aurait des ossements et il n’y en a aucun, prononça-t-il sur un ton doctoral. Dans toutes les oubliettes, on y trouve des squelettes. Et là, aucun.

- Peut-être qu’on a affaire à des anthropophages qui mangent les os, avança Mario d’une voix sinistre. Ou peut-être l’antichambre de la fin ajouta-t-il, de la même voix.

- Déconne pas Mario, tu vas effrayer les filles et ce n’est pas le moment. Pas de paniques, je vous dis qu’il y a une solution. Raisonnons calmement. On est dans un lieu sans issue. Il y en avait une et elle a disparu, ça veut dire qu’il peut y en avoir d’autres et qu’il suffit de les trouver. Donc il faut chercher.

- On a déjà fait le tour et on a rien trouvé hier soir.

- Bien sûr, on a mal cherché, on a regardé que la surface des parois, maintenant il faut sonder.

- T’as pas amené un sonar, Pierrot, demanda Mario ?

- Toi tu n’as pas oublié ta connerie et tu aurais mieux fait de la laisser. Tu n’es pas dispensé de chercher. Pour une fois creuse-toi les méninges essaie de trouver comment détecter une ouverture. Je suis sûr qu’on va trouver. Anaïs tu es la championne en énigmes t’aurais pas une petite idée. A mon avis, il doit y avoir une sortie tout comme il y avait une entrée. Quand on aura trouvé où elle se trouve on concentrera nos recherches sur ce point pour découvrir le mécanisme qui le commande. A nous cinq, je suis certain qu’on trouvera.

Il y a un moment que je me creusais la tête. Sûre qu’il y avait un moyen. Une ouverture qui se referme, ça laisse supposer qu’il y a un mécanisme.

Pierrot traça sur le sol une flèche en direction du lieu où on avait débouché.

- Moi, je vais chercher à l’opposé de l’entrée, déclara Robert.

- Ca m’étonnerait que la sortie soit exactement en face de l’entrée. Nos vieux étaient trop malins.

- Ca y est, j’ai trouvé comment sonder les murs, hurlais-je soudain joyeuse.

3.

Afin de vérifier si l’on pouvait se fier à ma trouvaille nous avons commencé par la tester sur la paroi où se trouvait l’entrée par laquelle nous étions venus. Il faut reconnaître que les bâtisseurs de ce domaine souterrain possédaient de réelles qualités professionnelles dans l’art d’assembler les pierres, elles étaient parfaitement taillées s’encastraient à la perfection et il nous était difficile d’en desceller une, tant leur jointure était bien faite. C’est en grattant le sol que nous pûmes en récupérer quelques unes qui nous serviraient de marteau. Pierrot armé de sa pelle commençait déjà les investigations en frappant les parois de petits coups secs. Quelques minutes plus tard, il nous confiait d’un petit air inspiré :

- Je crois que j’ai trouvé un point intéressant. Ecoutez ! Là ! Le son est plein, alors que là, ça sonne creux et il traça avec sa pelle un trait vertical.

Nous avions allumé deux lampes à acétylène l’une que nous avons placée près de Pierrot et l’autre un peu plus loin. Bien sûr la méthode n’était pas rigoureuse, un peu hasardeuse, mais à force de tâtonnements et de répétitions, nous avions réussi à tracer deux traits verticaux entre lesquels en principe se trouvait le passage, en nous fiant aux diverses résonances des coups frappés sur la paroi avec les pierres récupérées.

- Maintenant, sur votre trait essayez de trouver une anomalie. Moi, j’en ai trouvé une, à un mètre du sol j’ai une pierre en relief. Tout en parlant, il essayait de pousser ou retirer la pierre mais rien ne se passait.

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27/07/2008
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